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KIJNO : l’insaisissable permanence

La subjectivité de l’art est une forme de liberté : celle de l’artiste, mais aussi celle du « regardeur », en art visuel, pour reprendre le terme que François Xavier emploie dans « KIJNO e(s)t l’art d’aimer  ».

L’école et l’artiste

Certes, l’art est aussi doté d’éléments plus objectifs, comme la construction, la structure, le passage des couleurs pour un tableau…Parmi ces éléments il y aussi la classification. Celle de l’institution. Cette dernière a toujours besoin de rattraper l’individu dans son aspiration d’individualité pour le contrôler, pour le raccrocher à un groupe identifié, reconnu par l’institution comme étant un groupe de référence. L’académisme en quelque sorte.

Une culture traditionnelle, très française, qui bannit l’autonomie, de pensée, de parole, d’action, parce que perçues par l’institution comme une menace à son contrôle par la dépendance, par l’obéissance.

Il est aussi compréhensible d’avoir besoin de se rattacher à un groupe, pour ne pas se sentir seul, pour être rassuré, voire pour partager quand l’esprit de groupe y est assez élevé. Quel choix alors pour l’esprit libre ? Celui qui est autonome, celui qui pense par lui-même, celui qui crée dans sa singularité, en extrayant de lui-même l’expression de la création ? Il crée ses propres références, il devient le référent : il est unique. Il projette, il est visionnaire.

KIJNO est selon moi de ces créateurs uniques, de ces fondateurs.

Une singularité

KIJNO n’a suivi personne, tout en ayant tant partagé avec les autres : par l’autre, et pour l’autre. Avec et pour l’humain, pour l’Humanité.

Au-delà de la création, il y a la personnalité de l’artiste. La part humaine de cet artiste exprime selon moi aussi l’intention de sa création : le sens qu’il donne à son expression.

KIJNO a extrait la matière du vivant pour en faire une création, porteuse d’âme. Il est autant allé chercher en lui, qu’il a creusé le monde pour en extraire cette part d’Humanité si essentielle à sa respiration. Il a fait exister la matière invisible pour la rendre perceptible à l’œil humain, selon sa vision, en tant que gardien d’une âme collective, aussi perdue que vivante.

Je suis infiniment, et modestement, reconnaissant à KIJNO d’avoir proposé un accès à la valeur artistique qui construit, qui respecte, qui protège. Un accès au monde de l’invisible présent.

KIJNO a su, selon moi, transcender le temporel pour dépasser les limites de la classification, pour dépasser les notions mêmes de « moderne » ou de « contemporain », d’abstraction ou de figuration.

KIJNO extrait la matière animée de l’humain pour la projeter de façon humble et passionnée, pensée et énergique, habitée et incarnée.

KIJNO est l’art. Celui qui se regarde par son identité, pour son unicité, au-delà de la comparaison du regardeur qui se rassure. Il s’adresse à l’autonomie de pensée, à la liberté de voir, de croire, d’envisager, d’explorer du regardeur. Il le respecte et lui propose de s’aventurer corps et âme dans son univers, si tant est qu’il s’ouvre lui-même au monde perpétuellement nouveau de la création de KIJNO. A prendre ou à laisser.

Au-delà du spirituel, KIJNO se vit dans la chair. Il chamboule, déstabilise, émeut, bouscule, apaise, rassure, perturbe, mobilise les sens en libérant l’inconscient de ses garde-fous analytiques. KIJNO invoque la déraison de l’âme, parle le langage magique, pour accéder à la déraison de son art.

Oui, KIJNO me passionne. Son art transpire le vivant de la création. Il occupe un espace infini de la permanence : celle de sa présence protectrice, celle du gardien de la part d’ombre et de lumière de l’humain, en posant sur le support son regard visionnaire d’un monde en création.

On ne peut se limiter à posséder un KIJNO, à vouloir un KIJNO, à accrocher un KIJNO.

On passe du temps avec KIJNO, on partage un moment avec son œuvre, on se perd dans un monde dont le sens ne vient qu’en le regardant avec les yeux de l’esprit.

On chemine vers KIJNO, on découvre KIJNO, on le rencontre, on le respecte.

Comme le disait l’abbé Robert TALMY, supérieur de l’institution de Marcq-en- Baroeul, dans le nord : « Il faut plus d’une vie pour connaître l’autre». Une aventure, en effet. Il faut plus d’une vie pour connaître KIJNO. On l’aborde, on le croise, il se révèle, puis s’efface pour revenir au galop d’une création chargée du combat de l’humain.

Reconnaître KIJNO

Pour rencontrer KIJNO, peut-être faut-il se dépouiller de ce que vous connaissez, pour ne pas le comparer. Ce serait sinon l’éviter, le laisser passer. Ce serait l’offenser. Ce serait ne pas le respecter. Accordez à KIJNO ce qui est à KIJNO.

Combien d’expositions dédiées au Street Art intègrent KIJNO comme l’influenceur de cette expression en France ? https://culturebox.francetvinfo.fr/arts/peinture/retrospective-kijno, comme l’exprime aussi Renaud FAROUX dans ses écrits pour KIJNO.

– Le graffiti

En 1957, le marchand de couleurs de KIJNO, qui habite alors au Val de Grâce avec son épouse Malou, lui propose une nouveauté qui vient des Etats-Unis : la bombe aérosol. KIJNO s’en saisit. Il voit. Il réalise ensuite ses premiers graffitis sur les murs du quartier latin, et inscrit son tag sur la toile, comme celle-ci :

KIJNO

Grande variation sur mon nom – 1959/1960 – Huile, encre, acrylique et glycero spray sur papier marouflé sur toile – 112×193

Que dire des toiles peintes au moment de la guerre d’Algérie ?

KIJNO

Manifeste- OAS Assassin – 1961- Huile sur toile et graffiti à la bombe de couleur – 80×100

Ou de celle-ci :

kijno

Certes, le marché de l’art crée ses histoires pour vendre. Intégrer KIJNO dénaturerait probablement les histoires construites autour des années 80.

Mais quitte à créer une histoire, autant le faire le plus fidèlement au créateur de l’Histoire. Un peu d’honnêteté intellectuelle ne nuit ni au talent, ni au business.

– Le froissage

Pour poursuivre sur l’influence de KIJNO, j’étais également étonné de ne pas voir cité KIJNO dans les articles sur CESAR, notamment au moment de sa rétrospective au musée POMPIDOU. Est-il si inconcevable de rendre à KIJNO ce qui est à CESAR ?

Oui KIJNO a déclenché l’idée des compressions chez CESAR. Une idée qui lui est venue en visitant l’exposition KIJNO de 1958 à la galerie BENEZIT, devant les papiers froissés de KIJNO. Puisque KIJNO froissait le papier, CESAR allait froisser la tôle.

KIJNO

Variations sérielles -1961- Huile, vinyle, encre sur papier froissé et marouflé sur toile – 193×159

Est-ce nier le talent de CESAR que de reconnaître le rôle de KIJNO ? Est-ce que cela empêche d’apprécier le Street ART que d’intégrer KIJNO dans l’expression novatrice, avant-gardiste de cet art ?

Non. Chaque artiste créer son chemin vers son expression, mais il n’en demeure pas moins décent de situer KIJNO dans sa propre création, et de ne pas en censurer le talent, juste parce qu’il était le porteur de sa propre création, de sa propre vision. Juste parce qu’il était précurseur, visionnaire, ou juste libre, affranchi.

La répétition des suiveurs créerait-elle davantage d’effet que la puissance de l’initiateur ?

Comme le plus souvent en France, mieux vaut dire le même message que le groupe pour être entendu, que porter seul un message, différencié. C’est en quelque sorte le sort réservé au donneur d’alerte. Un faux collectif vaut mieux qu’un vrai individuel.

Un passeur

KIJNO créait, exprimait, disait, avec fougue, tempérament, inspiration, conviction et engagement, mais ne réclamait pas pour lui. Il s’exposait pour, en messager, en gardien, en vigie, en réinventant, en recréant, sans se satisfaire du confort de l’acquis. Une prise de risque, libéré et insoumis.

Voilà quelques pensées, impressions sur KIJNO. Ce ne sont que des mots qui viennent d’un regardeur. Mais un regardeur passionné.

Grâce à KIJNO, mon esprit  s‘affranchit de cadres et repères, essentiels, mais aussi limitants par instants. KIJNO libère cette part d’indescriptible, qui n’a ni langage ni mot conscient, autre que celui de la sensation, autre que celui d’une âme en visite.

KIJNO creuse la terre pour en extraire sa part de lumière, et nous offre le fruit d’un combat d’une vie, d’un combat pour la vie, avant tout.  

Allez vers KIJNO. Il est vivant, il vous attend. Découvrez Kijno sur www.Kijno.com.

Et surtout, prononcez « Kino ». Seul le « j » est muet, face à l’écho permanent de son humanité créatrice.

Stéphane LHERMIE

31 janvier 2018

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