Réflexions, Société

Interviewer n’est pas s’écouter

Je trouve assez intéressant d’écouter, et regarder, les présentateurs de journaux télévisés s’exercer à l’interview. C’est un métier en fait, pas un exercice.

Chroniqueur n’est pas intervieweur, présentateur n’est pas chroniqueur…Quelle est la différence essentielle ? Etre en relation directe en interview, plutôt qu’être seul devant un micro ou une caméra, seul avec son texte, maîtrisé, contrôlé, sans surprise, sans autre imprévu que la panne technique.

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L’intervieweur investit la relation. Au-delà de la préparation de son sujet, des informations qu’il récolte, c’est avant tout sa posture qui en fait un animateur de l’échange, de la relation. Une posture en disponibilité, en écoute, en confiance dans sa propre capacité à gérer la réponse de son interlocuteur, pour rebondir, et générer un réel échange.

L’intervieweur est en capacité de se dégager de ses propres besoins de reconnaissance, de mettre en sommeil son ego, pour laisser la place essentielle à l’interviewé, plutôt qu’occuper la place centrale.

Et dans cette pratique, il y a un monde entre les professionnels. Les plus nombreux sont enfermés dans leur besoin d’occuper le centre du sujet. Ils sont en incapacité de perdre le contrôle. Cela se traduit par le besoin de baliser l’interview par des questions fermées, ou au mieux à choix multiples, que l’interviewé se trouve remisé dans un rôle de boomerang. C’est aussi poser des questions qui n’en ont que l’apparence, et sont davantage des affirmations déguisées, qui ne supportent en fait pas une réponse qui sortirait du cadre imposé, ou trop longue.

Le message qu’ils envoient est « C’est moi qui ai le pouvoir, c’est moi qui décide, c’est MOI ».

C’est le cas pour les interviews people, comme pour certaines émissions politiques. L’animateur, ou animatrice, veut en fait tout contrôler, jusqu’à la réponse ou il ou elle souhaite amener l’invité, et manifeste des gestes d’impatience quand leur contrôle est trop soumis à l’effort : les bras se ferment, leur regard est plongé dans leurs notes pour déjà enchaîner la question suivante sans écouter la réponse, la bouche est déjà prête à couper pour poursuivre.

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Mais il y aussi les professionnels de l’interview, et ceux qui s’illustrent avec aisance autant dans la présentation que dans l’interview. Parmi ceux-ci, il y a Leïla KADDOUR-BOUDADI. Je l’ai écoutée et regardée interviewer deux montres du cinéma : Catherine Deneuve et Gérard Depardieu. Chapeau madame ! Une posture en légèreté, en disponibilité pour la parole de l’autre, pour la place de l’autre, une intelligence de situation, un humour en lien probablement avec une forme d’humilité… sans s’effacer.

Une présence en disponibilité, en modernité, dépouillée de l’archaïsme de la lutte de pouvoir, de l’ego déplacé, pour animer l’échange en ouverture et en confiance.

Leïla KADDOUR-BOUDADI interviewe en confiance, à l’aise dans la gestion spontanée de la parole de l’autre, sachant adapter son exercice au fil du déroulement, sans perdre le fil. Sa posture est une proposition, plutôt qu’une imposition.

Questionner est aussi un exercice de curiosité de l’autre, de compréhension, de découverte en fait. Il suppose de se débarrasser au mieux de ses préjugés, et d’être en confiance dans sa propre capacité à écouter pour formuler.

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Mener un entretien n’est pas contrôler l’entretien. S’affirmer n’est pas imposer, c’est occuper en confiance un espace de relation, qui permette d’occuper cet espace sans empêcher l’autre d’occuper le sien, voire même en favorisant l’expression de l’autre.

Une situation où les protagonistes s’illustrent avec une certaine inégalité de posture, et qui révèle toute la valeur de l’engagement relationnel, au-delà des ego dont la voix couvre trop souvent celle du regard accordé à l’autre.

Le Guetteur

22 novembre 2017

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