Société

France : terre d’abus

On parle beaucoup de l’affaire Weinstein, à juste titre bien entendu. Mais je me questionne quand même sur le fait que les media, tout à coup, surinvestissent le sujet. Lequel d’ailleurs ? Celui du harcèlement ? Celui de Weinstein ? Ou celui du harcèlement dans le monde du cinéma et des media… ?

france terre d'abus

Une manifestation egocentrique ? Le harcèlement chez « nous », media-people ? On touche à « notre » intégrité, à celle du monde de l’image, du monde visible?

Et l’abus, d’une manière générale, dans sa globalité ? Faut-il que des actrices sortent du bois pour s’émouvoir de cet abus, perpétré aux Etats-Unis. Ça aide probablement.

Ainsi Weinstein nous permet de nous insurger sans risquer de toucher à nos propres pratiques, et une fois encore, de pouvoir exprimer notre si bonne conscience, si prompte lorsqu’il s’agit de pointer les abus des autres, ailleurs : « Le harcèlement est une horreur, chez eux ».

Et nous alors ? Que faisons-nous de nos Weinstein, qui pullulent. Oui, en effet, la France pullule, comme ailleurs, de ces pervers qui usent d’un supposé pouvoir pour détruire l’intégrité de leurs victimes.

Nous sommes les champions de la consommation d’anxiolytiques ? N’y aurait-il pas un lien avec notre toute aussi championne culture de l’abus ? Cette culture entretenue par notre archaïsme le plus outrancier : le statut. Toute notre institution, et par influence nos rapports à l’autre sont construits sur cette base archaïque : le « pouvoir sur », par la fonction, par l’obéissance et la sanction qui lui sont associées, sanction qui peut devenir menace.

Notre pays est tout autant un vivier de savoir, de potentiels et de puissances intellectuelles, de talents manuels, alors qu’il rejoint les cultures les plus institutionnelles et archaïques en matière de construction de la relation.

Le statut est l’outil de l’impunité, notamment dans les cas d’abus, mais il est avant tout celui de la menace sur la victime, qui, de crainte de la réalisation de la menace, se soumet à la perversité destructrice du bourreau.

Ce n’est pas la notion d’autorité que je remets en question, mais bien le fait qu’elle soit posée comme vecteur unique de respect, supprimant de fait la valeur morale de son détenteur. Une protection encore toute institutionnelle qui rend si peu audible la parole de la victime, même si cela évolue aussi. En la matière, rattraper notre retard ne nous fait pas avancer à la hauteur de l’ampleur de l’abus.

Une institution qui se construit sur l‘obéissance à l’autorité, et non à son détenteur, génère la diffusion de l’abus. Obéir, c’est être silencieux. Etre silencieux, c’est se mettre aussi en danger.

La culture de l’institution génère, reproduit et protège l’abus.

france terre d'abus

Il commence par l’abus commercial du professionnel sur la personne âgée, sur la femme seule. Il se poursuit par celui du professeur sur l’enfant par la sanction arbitraire, par l’humiliation. Il est celui d’un petit chef sur un collaborateur, celui d’un adulte sur un enfant, celui d’un supposé traitant sur une personne handicapée, dépendante, celui d’un colon sur un indigène, celui d’un supporter sur un footballeur, celui d’un lycéen planqué derrière son réseau social, ou d’un collégien par plusieurs autres, celui d’un homme sur une femme, et plus rarement l’inverse, quoiqu’en matière de management certaines femmes chassent malheureusement sur les terres de certains hommes. Le point commun : un sentiment de risque de parler, pour ceux qui le peuvent, supérieur au bénéfice de se libérer, mais aussi un enfermement dans la dépendance à une autorité, qu’elle soit au sein d’un groupe humain, ou derrière les murs épais d’une institution sous contrôle.

Une culture du rapport de force primaire, issue de la grotte, qui, même si celle-ci bénéficie aujourd’hui de tous les éléments de confort et de modernité technologique, ne peut masquer la relation « cromagnonesque » que l’individu continue de développer.

L’institution est, et pas uniquement, l’entité de protection du pervers par son caractère opaque, sa  perversité, et foncièrement fantasmé d’une vertu toute conceptuelle, son narcissisme. D’une manière plus symbolique, c’est attirer des candidats au monde professionnel pénitentiaire par une campagne de publicité toute vertueuse, pour les faire rejoindre un univers bien éloigné des imaginaires de papier glacé transmis. Le piège.

Qui est donc la voix de ces innombrables anonymes de la souffrance, de ces victimes dont le silence n’est encore trop souvent que le seul mode de survie ?

La modernité d’une société s’évalue selon moi à sa capacité de protection de la victime, et son engagement dans l’évitement de la souffrance. Une société qui abuse plus qu’elle ne protège n’est que la honte d’une condition si peu humaine qu’elle se nourrit de la souffrance de l’autre.

Je rends ici hommage à tous les acteurs de la protection de l’enfance et des adultes victimes d’abus, professionnels individuels et associatifs, qui, dans l’ombre et avec discrétion, s’engagent chaque jour dans le soutien, et une forme de rééquilibrage des archaïsmes malheureusement si ordinaires de notre société.

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Peut-être pourrions-nous enfin voir les salauds domestiques qui se cachent derrière tant de héros publics, ces porteurs et usurpateurs de statut, qui, planqués derrière leur façade petit-bourgeoise, cachent avec une arrogance toute malsaine le prédateur qu’ils se plaisent à nourrir, sans jamais le rassasier.

Au fait, être humain, ça veut dire quoi ?

Le Guetteur

13 novembre 2017

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