Société

C’est quoi le narcissisme français ?

La culture institutionnelle et structurelle française est enferrée dans un narcissisme chronique, voire maladif pour certains.

D’où cela vient-il ? Des historiens ou sociologues seraient certainement à même d’y répondre. L’Ancien Régime en apporte probablement une part d’explication, ainsi que notre culture institutionnelle, laïque ou religieuse. L’institution, c’est autant le statut que l’écran de fumée. Louis XIV en est certainement le symbole le plus immédiat, notamment par son goût de la mise en scène, du théâtre et de sa position centrale dans cette mise en spectacle : moi et regardez-moi.

Mais pourquoi aujourd’hui encore ?

Dans l’histoire récente, le Général de Gaulle et le président Pompidou ne semblaient pas occuper cette posture. En revanche, Valéry Giscard d’Estaing a selon moi été un activateur de ce narcissisme : se mettre en scène avec l’accordéon, avec les éboueurs… « se voir comme » le chantre de la modernité, se créer une fondation pour soi, et se racheter un château pour habiller le tout. Projeter, représenter, se valoriser.

Voici donc quelques caractéristiques de ce travers national :

  • La culture du savoir, et son diplôme associé, qui fait gagner une place dans l’organisation, dans la hiérarchie. Le savoir est valorisant. Il est reconnu. Il permet d’accéder, d’obtenir une reconnaissance sociale, voire un prestige.

Pas étonnant qu’un patron de grand groupe, monsieur FREROT, évoque récemment l’inutilité pour ses enfants de faire un apprentissage, puisqu’ils sont brillants. Et oui, l’apprentissage est manuel, donc pas de prestige, pas d’image, pas de renvoi narcissique qui rayonne…

La savoir est la tête : la couronne. L’apprentissage c’est la main : le gueux qui travaille la terre. Une explication comme une autre…La Suisse a quand même compris cette valeur, puisque des grands patrons sont d’anciens apprentis.

  • La culture du statut. Il est le graal français : le rang dans la hiérarchie sociale, le pouvoir qui y est associé. La place dans le groupe se prend et se reconnaît par ce rang, par la fonction. Il n’est pas tant question de contribution individuelle, ni même d’individu, mais d’acquis, de position dans une organisation. Il est entretenu par les coefficients, les galons, les attributs en tout genre, notamment les régimes spéciaux, qui renvoient une idée de valorisation sociale et de puissance : les ors de la république, les voitures, le personnel, la mise en scène d’un pouvoir, même éphémère.

Il est aussi celui qui permet aux taxis d’utiliser les voies de bus, et aux autre chauffeurs de faire la queue.

Un statut pour contrôler, pour diviser, pour accorder, pour refuser.

  • La culture de l’image. Elle est le pendant du statut. Une forme d’illusion du pouvoir, de la valeur supposée positive sur les autres par un arrangement avec la réalité, estimée moins valorisante. L’image est une construction artificielle, une projection sur l’extérieur d’artifices et d’outils censés porter une association socialement positive. D’où la mise en scène quasi permanente des politiques français, et la construction outrancière des messages d’intentions.

Le politique participe ainsi à un évènement pour s’en approprier la cause, ou se met en tenue de…pilote, militaire…pour renvoyer une image de pouvoir, de meneur.

  • La culture du concept. Elle est aussi celle de l’idée, celle de l’intention. Bien entendu, l’idée est très positive. Elle l’est moins quand elle est une fin en soi, sans action associée. Le concept est formidable : il évite de se tromper, de se confronter dans l’action à la réalité. Car agir c’est prendre le risque de se tromper, et de ne pas être en situation supposée valorisante. Le concept « me » renvoie une idée de « moi » en capacité, en pouvoir. Il est associé à la valorisation du savoir. Ainsi toutes ces réunions qui se suivent sans décider dans le monde professionnel. Ou toutes ces lois qui sont censées régler un sujet, sans exposer le décret à une réalité inadaptée. Ou enfin ces décisions qui sont prises sur des schémas construits à huis clos : si ça ne fonctionne pas, c’est de la faute de l’utilisateur, pas du concepteur.
  • La perversité. Elle accompagne enfin, et malheureusement parfois le narcissisme. Elle consiste, grossièrement, à détourner les attributs de l’institution pour augmenter son pouvoir au détriment du sens collectif, au détriment de l’autre. C’est, globalement, ne rien vouloir pour le peuple, et orienter les ressources collectives vers sa seule valorisation individuelle. Cela trahit avant tout une forme d’imposture du politique, mais aussi de faiblesse, de manque solidité profonde, de confiance, malheureusement mal compensée par les outils du pouvoir.

Se nourrir soi quitte à détruire l’autre : dominer, contrôler en soumettant l’autre à sa demande.

Voilà quelques illustrations d’un sujet que nous avons à développer d’urgence : la capacité de se confronter au réel, comme le font les cultures saxonnes ou anglo-saxonnes notamment. Se confronter pour réfléchir selon des éléments concrets, pour prendre des décisions adaptées.

Pour atténuer cet envahissement narcissique, notre culture d’éducation mériterait de développer la notion de confiance chez l’individu par l’encouragement, plutôt qu’entretenir le besoin de contrôle de l’institution par la sanction. L’ENA est certainement l’illustration de ce système reproduit sur un état de conscience de l’autre quasiment inexistant, autour d’une idée d’un élitisme nombriliste galopant.

Pas gagné…quoique… si  l’institution s’accroche, des individus illustrent chaque jour le potentiel français à avancer autrement, en lâchant les boulets du passé.

Faut-il être à l’écoute d’autre chose que soi, pour en prendre conscience.

Le Guetteur

4 octobre 2017

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